La ruée vers le Maroc


L’engouement des étrangers pour le Maroc, les grands projets de Mohammed VI, les investissements et le boom immobilier modifient le visage du royaume. Sa mue est spectaculaire. Et les Marocains diplômés rentrent au pays.

De notre envoyée spéciale Mireille Duteil

Le Maroc aurait-il une botte secrète pour susciter un tel engouement ? Depuis une douzaine d’années, le royaume chérifien est à la mode. Et la ruée vers ce pays d’ombre et de lumière, de grande richesse et d’extrême pauvreté, où le modernisme côtoie la tradition, n’est visiblement pas près de se calmer. Une vague de fond qui, après avoir embarqué les people dans son flot, touche aujourd’hui beaucoup de Français, les riches et les moins riches, comme l’Espagne dans les années 70, lorsque Madrid pariait sur le tourisme et les investisseurs étrangers.
Quand Michelle et Robert B. achetèrent, avec deux couples d’amis, des terrains dans la palmeraie de Marrakech au milieu des années 80, ils n’imaginaient pas qu’ils étaient parmi les précurseurs d’un phénomène qui n’a fait que s’accentuer. Pour arriver à leur propriété, une étendue sèche, de couleur crayeuse, plantée de palmiers clairsemés, il fallait jadis parcourir un bon kilomètre d’une piste cahotante et étroite, dont l’entrée était barrée par une fondrière à la première pluie. Puis ils ont vu d’autres Français et des Marocains aisés acheter les terrains alentour, les promoteurs immobiliers sont arrivés et le bitume a recouvert les trous de la piste. La palmeraie est sortie de son oubli, elle est redevenue verdoyante en changeant de vie. Mais nombre de ses anciens habitants sont partis. Ils ne s’y retrouvaient plus.
Explosion des prix
« En 2008, 35 000 Français résident officiellement au Maroc et se sont fait immatriculer au consulat de France. Ils sont en fait deux fois plus nombreux à y vivre », affirme un diplomate. Il y a certes les people qui accourent à Marrakech pour un week-end, viennent s’y marier-tel l’humoriste Jamel Debbouze et la journaliste Mélissa Theuriau. Il y a ceux, retraités ou non, qui achètent des appartements ou des riads dans les médinas de Fès, de Rabat ou de Tanger, pour la beauté des lieux, le plaisir du dépaysement ou avec l’envie d’ouvrir des maisons d’hôtes. Les Anglais leur emboîtent le pas et les tea rooms se multiplient dans les ruelles pentues du vieux Fès. Les Espagnols suivent de près, en particulier dans le Rif, à Tanger et ses environs, où une grande partie de la population, Histoire oblige, parle encore le castillan. Mieux, les sociétés européennes et américaines se pressent pour investir. Sans compter les émirs du Golfe, qui déversent des centaines de millions de dollars dans l’immobilier à Tanger ou Rabat (sur le littoral et le long du fleuve Bou Regreg), bouleversant les paysages urbains du royaume millénaire.
Une folie. La spéculation immobilière est effrénée. Elle a commencé dans le Rif, là où les gros trafiquants de haschisch ont construit et acheté des immeubles entiers pour blanchir l’argent de la drogue. Puis il y a la nécessité de se loger pour les jeunes Marocains, qui n’entendent plus vivre comme autrefois, avec plusieurs générations sous le même toit ; l’arrivée des nouveaux résidents, amateurs d’un art de vivre que le Maroc moderne ne veut surtout pas abandonner, et celle des touristes (5 millions en 2007, 10 millions espérés en 2010) ont fait exploser les prix. Les Marocains aisés ne sont pas en reste. Heureux propriétaire d’une grande villa à l’architecture d’avant-garde dans un quartier chic de Rabat, Ali, industriel, est ravi : en cinq ans, le prix de son terrain a été multiplié par sept. La proportion est pratiquement la même aux quatre coins du pays. Accumulant terrains et maisons qu’ils revendent souvent après quelques mois, les riches Marocains (de 5 à 10 % des 32 millions d’habitants) entretiennent la spéculation et font craindre des lendemains qui déchantent si la bulle immobilière éclate. « Les prix peuvent baisser, pas s’effondrer, car il manque trop de logements pour les citadins les moins aisés », rassure un haut fonctionnaire. Un optimisme qui n’est toutefois pas partagé par tous.
Quoi qu’il en soit, la moindre bourgade est un chantier. Tanger, si longtemps oubliée, va transformer son port ( voir le reportage de Jean Guisnel ) en une marina branchée ; Rabat a abandonné son caractère provincial sans perdre son charme ; Marrakech la rouge explose et revendique, grâce au tourisme, le taux de chômage le plus faible du royaume (moins de 6 %, mais les salaires sont très faibles). Même Fès la religieuse s’est mise au goût du jour. Mais à son rythme et à sa façon, élégante et précieuse. Chaque début du mois de juin (le 6, cette année), le Festival des musiques sacrées est devenu un must. Le concert d’ouverture, sous les remparts ocre illuminés du Mechouar, la place qui précède le grand portail de bois du palais royal, est une des soirées les plus chics et les plus courues de l’année. Les plus grands de l’art lyrique s’y donnent rendez-vous et font accourir le tout-Rabat et le tout-Casablanca, mais aussi nombre d’amateurs européens. Parallèlement, les mêmes orchestres se produisent dans la ville pour des concerts gratuits.
La mue la plus spectaculaire touche Casablanca, la métropole blanche où la spectaculaire mosquée Hassan-II (le deuxième minaret du monde après celui de La Mecque) rivalise avec les tours de verre et d’acier. Un symbole du Maroc de Mohammed VI. C’est là que les investissements étrangers sont le plus visibles. « En ce domaine, le pays a changé d’échelle » , explique Nadia Salah, rédactrice en chef et éditorialiste de L’Economiste, un quotidien épluché par le gotha des affaires et du gouvernement. Elle poursuit : « Maintenant, à moins de 2 milliards de dirhams [180 millions d’euros] , on n’annonce plus les projets à la une. »
Le retour au bercail
Casablanca est devenue la deuxième place financière du continent. Elle draine 48 % des investissements et assure 60 % du PNB du pays. Européens et Américains (la Snecma, EADS, Boeing…) se sont installés dans sa banlieue pour créer Casa Aerocity. En 2008, les seules réparations de moteurs d’avion vont engendrer une activité de 100 millions de dollars. La recherche y commence timidement. Le Maroc a formé 5 000 ingénieurs en 2006 mais en espère 10 000 en 2010. Ce sera le plus difficile. Car il faut plus de temps pour former les hommes que pour attirer les investissements à grands renforts d’incitations fiscales et de faibles coûts de main-d’oeuvre.
Là encore, le Maroc n’a pas dit son dernier mot. Il dispose d’une réserve de matière grise à l’étranger et espère la faire rentrer au pays. Les jeunes des milieux aisés vont faire leurs études à Paris, Montréal, New York, Londres. Autrefois, ils restaient y vivre. Ce n’est plus le cas. Après quelques années, une expérience acquise, ils rentrent au bercail. Ce n’est pas encore un processus de masse, mais plus qu’un frémissement. « Les occasions sont multiples ici, ce serait stupide de ne pas en profiter », explique Brahim Sedrati. Avec son cousin, Reda, ils ont à peine 60 ans à eux deux et ont lancé un quotidien gratuit, le premier du Maroc. « C’est vrai, c’est difficile. Au Canada, on crée une entreprise en trente minutes et personne ne vous dit que vous êtes trop jeune. Mais la concurrence y est rude. Ici, l’administration est tatillonne, tout est lent, mais quand le succès vient la vie est plus facile. » Surtout pour les couples avec enfants. Une évidence qui leur fait sauter le pas.
« Ce n’est pas parce que le pays n’est pas encore au niveau européen que j’allais attendre pour rentrer. Je voulais au contraire faire l’expérience d’une société où tout est à construire », s’enthousiasme Khadija Mekouar. Elle a ouvert un cabinet de conseil aux entreprises étrangères qui veulent installer des franchises. « Je suis arrivée au bon endroit au bon moment, explique-t-elle en secouant ses longues mèches brunes. Les sociétés étrangères voulaient s’installer au Maroc et ne savaient pas comment s’y prendre. Au départ, elles estimaient pouvoir réussir seules, puis elles ont vu qu’il valait mieux me rémunérer et que leur dossier avance plutôt que de faire quatre séjours pour rien. » L’arrivée des Américains et des Anglais, beaucoup moins à l’aise avec ce marché francophone que les entreprises françaises, est une incontestable opportunité pour Khadija, parfaitement bilingue. Elle n’est plus un oiseau rare. Le ministre de l’Economie et des Finances est venu à Paris en mars pour rencontrer des anciens des grandes écoles et les inciter à rentrer. Nommés à la tête de sociétés d’Etat ou d’administrations, on espère qu’ils vont secouer la machine. La lourdeur administrative, surtout des échelons intermédiaires, dont les mentalités n’ont pas évolué, reste un grave handicap.
Ainsi va le Maroc de Mohammed VI, qui fêtera ses 9 ans de pouvoir en juillet-et ses 45 ans en août. Le royaume a un pied dans la modernité, l’autre dans la pauvreté. Le bled, 45 % de la population, n’évolue guère. Les bidonvilles sont toujours une réalité et l’islam radical n’a pas disparu. « Ce n’est pas encore un pays à revenus moyens, mais les pièces du puzzle pour y parvenir sont en train de se mettre en place », affirme un économiste. En cinq ans, c’est la première fois qu’il semble optimiste

Source Le Point

Dubaï, nouvel eldorado des marocains

De tous les Etats du Moyen-Orient, les Emirats Arabes Unis (EAU) séduisent de plus en plus les Marocains. Après la Libye qui compte quelque 120 000 Marocains, en majorité peu qualifiés, c’est le deuxième pays arabe où la communauté marocaine est la plus nombreuse. En quelques années seulement, leur nombre a atteint quelque 30 000.

La concentration la plus importante de nos compatriotes se trouve à Dubaï, l’un des sept Emirats, constitués en fédération à partir de 1971, et qui connaît actuellement, plus que tous les autres pays de la région, un développement urbanistique phénoménal. Omar Makhfi, journaliste rédacteur en chef marocain à Dubaï TV, affirme que dès l’atterrissage à l’aéroport, en allant à l’hôtel pour s’installer, dans les malls pour faire des achats, à la banque pour faire le change, le visiteur ne peut pas ne pas rencontrer des Marocains. Pour Anas Bouslamti, journaliste, la communauté marocaine, bien que très demandée sur le marché de l’emploi à cause des potentialités qu’elle recèle, reste en deçà des relations privilégiées qu’entretiennent le Maroc et les EAU depuis la réunification du pays en sept émirats au début des années 1970.

Des Marocaines s’imposent comme travailleuses «honorables» au-delà du cliché de prostitution qui leur est collé

L’histoire du journaliste Anas Bouslamti que nous avons rencontré à Dubaï fin avril dernier est révélatrice de la capacité des Marocains à s’imposer sous d’autres cieux pour montrer leurs talents pourvu qu’on leur donne les moyens. Aucun journaliste marocain avant lui n’avait couvert directement par reportage une guerre, et il a été sur le champ de bataille à deux reprises. En 2001, en Afghanistan, alors qu’il était reporter de la chaîne de télévision d’Abou Dhabi, là, il a frôlé la mort après deux arrestations si ce n’était l’intervention des autorités marocaines et allemandes (Anas était marié à une Allemande).

La deuxième fois où il était reporter de guerre, c’était pendant l’invasion américaine de l’Irak en 2003 : là, il a préféré, pour éviter des mauvaises surprises, accompagner comme d’autres journalistes les forces américaines du Koweït à Bagdad. Après plusieurs années passées à Dubaï, Bouslamti ne pense-t-il pas retourner à son pays pour lui faire profiter de son expérience ? Comme beaucoup de Marocains installés à Dubaï, (et à l’étranger), l’idée de revenir au pays le taraude toujours. «D’autant plus avec la libéralisation du champ de l’audiovisuel marocain. Hélas, l’expérience de Médi 1 Sat le prouve, on continue encore de tourner le dos et de mépriser les talents marocains, au Maroc, et ceux qui travaillent dans les pays du Golfe».

Comme cette Marocaine, Siham Slimani, qui a fait ses études à l’université de Georges Washington. Une fois de retour au Maroc, elle dépose partout ses CV. Aucune réponse. Au premier CV envoyé à Dubaï, à une grande multinationale immobilière, elle est engagée comme directrice régionale et brille de mille feux.

Plusieurs Marocains ont si bien réussi leur parcours professionnel à Dubaï qu’ils deviennent chefs d’entreprises. C’est le cas de Nabil Iben Brahim et de Mohamed Belarj. Le premier, lauréat de l’Ecole Mohammedia des ingénieurs (EMI), a réussi la gageure d’installer et de diriger le bureau HPS de Dubaï, une entreprise spécialisée dans la monétique et les paiements électroniques.

Le second, ex-cadre à la Banque centrale populaire au Maroc, il a pu gravir les échelons pour devenir lui aussi chef d’un cabinet de conseil PSC (payement system consulting) en monétique. Le cas de Abdallah Essonni, qui a réussi sa carrière hôtelière à Dubaï, est révélateur aussi de la dynamique et de l’ingéniosité des Marocains installés à Dubaï.

En cinq ans, la physionomie de Dubaï se transforme à vue d’œil, et les projets touristiques et immobiliers fleurissent chaque jour
Abdallah Essonni est natif de Casablanca. Après un diplôme en gestion touristique et hôtelière obtenu à l’Institut supérieur de tourisme (IST) à Tanger, il part en 1984 continuer ses études aux Etats-Unis, toujours dans le domaine hôtelier. Il entame après une carrière de 9 ans à Hyatt International, au Maroc d’abord, au Sultanat d’Oman ensuite, à la Mecque enfin comme directeur général de plusieurs unités de la chaîne. Il travaille ensuite pour le compte du Jumeirah International Hotel Group en tant que directeur général des ventes au Maroc de Borj Al Arabe, l’emblématique tour implantée en pleine mer.

La raison de cet engouement? «L’explosion immobilière, les bons salaires et la qualité de service. En cinq ans, la physionomie de Dubaï se transforme à vue d’œil, et les projets touristiques et immobiliers fleurissent chaque jour. Les dirigeants du pays ont une vision claire de l’avenir des EAU : en faire un Singapour des Arabes, et ils y mettent le paquet. Là où il y a les compétences, ils vont les chercher», affirme Bouslamti. Emaar, la plus grande entreprise immobilière du pays (avec sa rivale, Nakheel), et l’une des plus grandes du monde, échafaude à tour de bras les plus grands projets : le dernier en date est Borj Dubaï, une tour qui tutoie le ciel, la plus haute du monde avec presque… un kilomètre de hauteur. Et Dubaï Marina, un des plus grands ports de plaisance au monde, avec une superficie de près de 4,5 km2, de 3,5 km de longueur, et de 11km de passages pour piétons. Sans parler du métro dont les travaux sont menés d’arrache-pied pour qu’il soit opérationnel en 2009. Il viendra à point nommé car, il y a seulement quelques années, d’un désert morne, la cité s’est transformée pour donner lieu à des autoroutes avec des embouteillages aux heures de pointe qui n’ont rien à envier aux grandes métropoles occidentales.

Pour valoriser sa présence à Dubaï et en tirer le meilleur profit, la communauté marocaine est en train de se constituer en club pour, en même temps, créer un cadre de divertissement, et constituer un lobby. Le club réunit quelque 200 Marocains, bien installés à Dubaï, et appartenant à différents secteurs. Ils se réunissent autour de dîners, ils organisent des spectacles et autres activités ludiques pour les enfants, une façon de parler darija et de penser au pays… Il y a quelques jours, le club a participé à une «international day» dans les écoles de Dubaï, avec un stand marocain original : un événement auquel le Maroc n’a jamais participé auparavant.

Jaouad Mdidech
Source: La Vie Eco

La souffrance des immigrés clandestins au Maroc

Au Maroc, certains les traitent de « négros » , azi , en arabe dialectal. D’autres, moins nombreux, citent le Coran et parlent des « enfants de la route » (abna essabil ). A Oujda, ville frontalière au nord-est du royaume chérifien, à moins de 15 km de l’Algérie, on n’a guère pitié de ces clandestins subsahariens venus du Mali, du Nigeria, de Guinée ou de Sierra Leone, avec l’espoir — de plus en plus souvent déçu — d’atteindre l’Europe.

Depuis les accords passés ces derniers temps avec l’UE, la route de l’exil est devenue un ***-de-sac. Et la prison remplace souvent le centre de rétention. « Dès notre arrivée à Oujda, la police nous a arrêtés. On est restés quatre jours enfermés. Sans rien à manger. On buvait l’eau de la douche — la seule de toute la prison », raconte Williame Kouame, un Ivoirien de 22 ans. « On était 37 dans une même cellule : 36 hommes, plus Nina » , ajoute-t-il, désignant sa jeune épouse assise sur une couverture sur le sol. Nina Kouame a 20 ans. A Bouaké, elle était coiffeuse.

Quand les rebelles antigouvernementaux prennent la ville à l’automne 2002, Williame et Nina, dont les parents ont été tués, décident de quitter la Côte d’Ivoire avec un copain, Joël Jackson. Joël prétend avoir 18 ans. Il en paraît 16. Son père était gendarme. « On s’est dit qu’une fois au Maroc, ce serait comme d’être en Europe : il n’y aurait plus qu’un pas à faire. On pensait trouver le HCR ou l’Unicef. »

En fait d’Europe, les voilà tous coincés au milieu du gué. Sans un dirham en poche. Entre les bandits et la soldatesque rencontrés, les trois amis se sont fait piller jusqu’à leurs derniers biens. « Même ma photocopie du baccalauréat, ils l’ont prise ! On est revenu à zéro, comme des bébés » , s’indigne encore Williame, sanglots dans la voix. C’est la deuxième fois qu’ils se font refouler par la police marocaine jusqu’à la frontière algérienne. La troisième fois qu’ils reviennent à Oujda. Encore ont-ils eu de la chance.

Dans cet enfer désertique baptisé « la maison du diable » , un vaste no man’s land à cheval sur le Mali et l’Algérie devenu, selon Williame, « un grand cimetière de Noirs » , nombre de migrants sont morts de soif et de faim. Viols, bastonnades, arnaques et racket sont le lot commun des « enfants de la route » .

Williame, Nina et Joël paraissent fatigués, mais à peu près en bonne santé — à l’instar de leurs compagnons d’infortune, une centaine de personnes, des hommes surtout et quelques femmes, certaines avec enfant ou nourrisson, échoués là, dans un coin du campus de l’université, avec leurs maigres baluchons posés au milieu des ordures.

La veille, les Ivoiriens ont mangé un peu de pain. « Certains commerçants, gentils, font crédit et nous donnent de l’eau. » La seule alternative, c’est d’aller mendier au marché ou à la sortie des mosquées. « On ne peut rien faire d’autr e. Le travail, c’est pour les Marocains d’abord » , constate Elimane, un malabar au tee-shirt poussiéreux, qui se dit natif de Guinée. Le terrain de sport que les clandestins ont squatté, entre la cité universitaire et la faculté de sciences juridiques, est écrasé de soleil.

Les quelques arbres qui y poussaient ont servi de bois de chauffage. Fin juillet, quelques jours avant que l’université se vide de ses derniers étudiants, les autorités ont ordonné que le mur entourant le terrain des squatters soit surélevé et que toutes les issues — sauf une — soient bouchées. Les campeurs indésirables ont compris le message. Avant que la police ne vienne les rafler, la plupart sont partis se cacher dans les forêts alentour.

« Les difficultés que pose la traversée du détroit de Gibraltar transforment le Maroc, et, en particulier, les régions du Nord et du Nord-Est ainsi que les provinces sahariennes en escale permanente » , constate l’universitaire Mohamed Khachani, dans Les Marocains d’ailleurs, la question migratoire à l’épreuve du partenariat euro-marocain (édité en 2004 par l’Association marocaine d’études et de recherches sur les migrations). Naguère terre d’émigration et de transit, le Maroc a « tendance à devenir un pays d’immigration » , souligne le chercheur. Le basculement date de 2003 : cette année-là, « pour la première fois » , le nombre des migrants subsahariens interpellés (23 851 personnes) « a dépassé celui des nationaux » (12 400 personnes), explique le professeur Khachani, citant les chiffres du ministère marocain de l’intérieur.

Plus nombreux que par le passé à rêver de gagner l’Europe, les migrants subsahariens sont aussi plus nombreux, désormais, à se retrouver bloqués au sud de la Méditerranée. Certains tentent donc désormais de se fixer en Afrique du Nord. « Sans que l’on puisse connaître avec exactitude le nombre d’irréguliers qui parviennent à traverser la Méditerranée (soit par les côtes marocaines, tunisiennes ou libyennes), ou à passer par l’Atlantique en transitant des côtes sud-marocaines vers les Canaries, il apparaît, selon les chiffres des autorités espagnoles et marocaines, que le nombre des migrants en situation irrégulière arrêtés par les unes et les autres a fléchi en 2004, par rapport à 2003 » , rapporte, dans une étude publiée en mars par la Commission européenne, Mehdi Lahlou, professeur à l’Institut national de statistique et d’économie appliquée (Insea) de Rabat.

Ce « net reflux » serait la conséquence de l' »effic acité des systèmes de contrôle » installés des deux côtés de la Méditerranée, indique-t-il. Le nombre de « pateras » (grandes barques à moteur) saisies « s’élève à 740 en 2004 contre 942 en 2003, une baisse de 21 % » , tandis que les disparus seraient « deux fois moins nombreux » . La mise en place progressive, à partir de 2002, le long des côtes espagnoles, îles Canaries incluses, du Système intégré de vigilance extérieure (SIVE) — dispositif impressionnant, évalué à 260 millions d’euros, comprenant 25 stations de détection, une douzaine de radars mobiles et quelques dizaines d’unités de patrouilleurs — explique, en partie, cette inflexion.

Sous la pression de l’Union européenne (UE), les pays maghrébins, Libye en tête, sont en passe de devenir de véritables souricières pour les Subsahariens. Soucieuse de se doter d’un « cordon sanitaire » anti-immigration, l’UE a eu, dès le début des années 1990, l’idée de créer, au Maghreb, des centres d’accueil pour migrants, rappelle Mehdi Lahlou. A charge, pour ces « Etats-tampons », de trier le bon grain de l’ivraie clandestine et de réadmettre, sur leur sol, les immigrés illégaux renvoyés d’Europe.

Ce que fait déjà, avec diligence, la Libye du colonel Khadafi, signataire d’accords en ce sens avec l’Italie de Silvio Berlusconi (Le Monde du 6 juin). Le Maroc n’en est pas là. Mais 5 charters à destination du Nigeria n’en ont pas moins été affrétés, entre novembre 2004 et mars 2005, pour renvoyer vers Lagos quelques centaines d’irréguliers.

Une loi « relative à l’entrée et au séjour des étrangers, à l’émigration et l’immigration irrégulières » a été promulguée, en novembre 2003, à Rabat, qui punit sévèrement les contrevenants. En Algérie, il y aurait aujourd’hui, selon l’universitaire algérien Ali Ben Saad, entre 500 000 et 600 000 immigrés en provenance de pays subsahariens. Logique, note le professeur Lahlou, puisque « 85 % à 95 % des migrants qui transitent par le Maroc » ou qui s’y trouvent clandestinement « y auraient accédé par la frontière algérienne » .
Certaines villes d’Algérie, comme Tamanrasset ou Maghnia, ont vu leur population augmenter de manière considérable, devenant le carrefour de multiples trafics — prostitution comprise. « La région d’Oujda et de Berkane est l’une des plus pauvres du Maroc. Ici, même la miette de miette de travail, les Subsahariens ne l’ont pas » , soupire Jelloul Araj, homme de théâtre et ex-syndicaliste, cofondateur de Mountada Rihab, une association qui milite pour  » la culture, la solidarité et le développement » .

Il est l’un des rares, avec le père Joseph Lépine, le curé de l’église d’Oujda, à entretenir des rapports réguliers avec les Africains du campus — qui ont été jusqu’à 600 à s’y entasser durant ces deux dernières années. Il connaît leurs terribles histoires. Comme celle de cette jeune Nigériane, prise en charge in extremis par une organisation humanitaire en mission à Oujda. « Avant son départ, elle et sa famille avaient passé contrat avec les trafiquants », raconte Jelloul Araj. Les proches avaient réglé une part du voyage. « Elle-même s’était engagée à payer la sienne en se prostituant en Europe. La troisième part, c’est l’enfant qu’elle a mis au monde en chemin qui devait l’apporter : si personne n’était intervenu, il aurait été vendu dans un réseau d’adoption. » Abracadabrant ? Pas plus que les combines et escroqueries diverses auxquelles les uns et les autres se livrent.

Rodrigue Sonor, 24 ans, de nationalité gabonaise, est l’un des responsables du Cercle des étudiants africains du sud-Sahara à Oujda (Cetaso). Il raconte comment « les Zaïrois -aujourd’hui Congolais-RDC-, spécialistes des faux papiers » arrivent à obtenir « jusqu’à 150 euros » des Subsahariens clandestins en échange d’un faux passeport et d’un billet de train pour Rabat. Les vrais papiers d’identité se monnaient évidemment plus cher. Les retraits à la Western Union, l’établissement spécialisé dans les transferts de fonds, sont aussi l’objet de racket : le clandestin qui n’a souvent plus de papiers est contraint, s’il veut toucher le pécule envoyé par les siens, de passer par un tiers en règle. Lequel va évidemment prélever son pourcentage…

« Certains étudiants succombent à l’attrait de l’argent » , regrette Rodrigue Sonor. Depuis quatre ans qu’il vit légalement à Oujda, les choses ont bien changé. « Avant, les Marocains nous respectaient. Maintenant, ils nous mettent dans le même panier que les clandestins » , regrette-t-il. Les chauffeurs de taxi eux-mêmes refusent désormais de prendre les clients noirs irréguliers. « Pour monter dans un train ou un bus, il faut avoir maintenant au moins quatre pièces d’identité — la carte de séjour, le certificat d’inscription à la fac, etc. Il faut, en plus, faire preuve de beaucoup de patience et de tact » , ajoute, elliptique, le jeune étudiant noir.
A Oujda comme ailleurs, dans l’esprit du Marocain moyen, « l’inquiétude tend à remplacer la tolérance » , note Mehdi Lahlou.

Récemment, un groupe d’étudiants maghrébins a tenté, « sans grand succès » , assure Jelloul Araj, d’organiser une manifestation contre les squatters africains du campus, accusés de tous les maux du royaume. Et le président du conseil des oulémas a dénoncé, en public, la présence des migrants subsahariens, présumés parasites et mangeurs du pain marocain.
Jusque dans les milieux associatifs, excepté l’Association des amis et familles des victimes de l’immigration clandestine, créée en 2001, à Khouribga, l’indifférence ou l’ignorance semble la règle. « Lors d’un rassemblement, j’ai entendu la responsable d’une association de protection de l’environnement accuser les Subsahariens d’avoir détruit notre patrimoine écologique et de manger des singes ! Cela m’a mis hors de moi » , témoigne Najib Bachiri, président de l’association Homme et environnement installée à Berkane.

Sans doute les choses s’amélioreront-elles peu à peu. La chaîne de télévision marocaine 2M a diffusé, dès 1998, un premier reportage, en langue arabe, sur les migrants de la forêt de Gourougou, près de Nador, réalisé par Mohamed Khatem. Deux autres documentaires ont suivi, Errances africaines de Reda Benjelloun, en février 2004, et A la vie, à la mort de Salhoua Jaafari, en janvier 2005 — tourné dans les îles Canaries avec la garde civile espagnole.

Les Canaries, Moussa le Nigérian y songe. « En partant de Layoune, ça coûte 800 euros » , explique-t-il dans un mauvais anglais. « M ais c’est beaucoup plus long et beaucoup plus dangereux que par Gibralta r. » Caché depuis quelques mois dans les environs de Berkane, Moussa finira sans doute par « réessayer Melilla » -l’enclave espagnole, à l’extrême nord du Maroc-, bien que le tarif — « 1 200 euros » — ait beaucoup augmenté. Moussa ignore que face à la surveillance accrue, la plupart des passeurs ne montent plus à bord des pateras. Les clandestins les empruntent à leurs risques et périls. Et le prix de l’embarcation — éventuellement perdue — est désormais ajouté au tarif de la traversée…

Catherine Simon (Le Monde)

Algériens spoliés au Maroc,Histoire d’une expropriation étatique

On a beaucoup entendu parler de l’expropriation faite par l’Algerie sous Boumediene mais, au Maroc, Ils nn’ont probablement jamais entendu parler des algeriens spolies deux annees auparavant.

Conformément aux dispositions du dahir portant loi n°1.73.213 du 2 mars 1973, relatif au transfert à l’Etat de la propriété des immeubles agricoles appartenant aux personnes physiques étrangères ou aux personnes morales, des milliers d’Algériens possédant des biens à Guercif, Agadir, Taza, Oujda, Berkane, Casablanca, Nador et Fès ont été inexorablement spoliés.

Le plus grave, c’est que cette loi n’a été appliquée que contre nos ressortissants, comme nous avons pu le constater sur place. Une discrimination que ne peuvent justifier ni expliquer des responsables concernés du royaume. Embarrassés, ils fondent cependant un grand espoir dans le réchauffement des relations entre nos deux pays pour « rétablir nos frères algériens dans leurs droits ». Guercif, dans l’Oriental. Une agglomération moyenne qui, économiquement, reste à la traîne des autres cités du territoire chérifien. Une situation que la fermeture des frontières terrestres en 1994 a davantage noircie. Mohamed-Abdelouahab Bousmaha, le représentant d’une famille algérienne de Sidi Bel Abbès dépossédée, les larmes aux yeux, nous prie de nous arrêter pour nous montrer « les dizaines d’hectares qui nous ont été pris injustement ». Située en plein centre urbain, une partie des terres a été donnée en exploitation à un citoyen marocain qui a pignon sur rue. L’autre a été transférée pour utilité publique. C’est quand même curieux cette réquisition par l’Etat de ces biens en ce sens que cette grande superficie est située en zone urbaine donc, en principe, non concernée par la loi royale. D’ailleurs, le maire de Guercif le reconnaît dans une attestation signée le 10 juin 2003. « Cette parcelle se trouve dans le secteur urbain de la ville de Guercif conformément au découpage administratif de l’année 1992. » A la Conservation foncière de Taza, un responsable qui connaît bien le dossier avoue : « Ce cas est inexpliqué. Normalement, cette terre ne devrait pas être touchée par la loi de 1973, mais… » Gêné, il continue : « Mais il devrait être réglé avec ce dégel entre nos deux pays. Patience. » Et qu’en est-il des autres biens, dont seuls les Algériens ont été touchés ? Notre interlocuteur, embarrassé, dit poliment : « Espérons qu’un autre Dahir sortira pour annuler le premier. » Il n’en dira pas plus. L’avocat de la famille de Mohamed-Abdelouahab Bousmaha, un Algérien installé à Oujda depuis longtemps, est perplexe : « Malgré tous nos documents et un dossier bien ficelé, les différentes instances marocaines continuent de faire la sourde oreille. Nos courriers restent sans réponse. » Au consulat d’Algérie à Oujda, le vice-consul nous reçoit expéditivement et nous rassure : « Le dossier des Algériens expropriés est entre de bonnes mains. » Nous lui avons demandé de nous communiquer le nombre de nos concitoyens victimes de ce Dahir. « Tous les dossiers se trouvent à notre ambassade de Rabat. » Et comme si ce dossier était du domaine du secret défense, le vice-consul précipita notre départ. Qu’à cela ne tienne. A l’ambassade, l’attaché de presse nous informe : « Ce dossier est bien pris en charge par les autorités algériennes. » Nous apprendrons que sur le territoire chérifien 14 000 Algériens sont recensés, mais qu’il en existe plus de 60 000. Quant aux victimes de ce Dahir, point de chiffre. Dans la même circonscription de Guercif, la famille Abbou parle de cette spoliation avec amertume : « Non seulement ils nous ont pris nos terres, mais ils nous ont chassés du Maroc comme des malfrats. Ils nous ont éloignés du royaume pour nous empêcher de défendre nos droits. » La famille Khiter, originaire de Khemis Miliana, se rappelle la période durant laquelle leur ferme de valeur et près de 300 ha situés à Agadir ont été transférés à l’Etat. « Du jour au lendemain, on nous a réduits à des gueux. Mais à ce jour nous continuons à lutter par la voie légale pour récupérer nos biens. » A Casablanca, K. Khiter, une Algérienne, chef d’entreprise, respectée pour les prouesses qu’elle accomplit dans son domaine ( le traitement des eaux), parle de l’expropriation avec tristesse, colère et impuissance : « Loin de juger qui que ce soit, il faut qu’on sache que nos biens actés nous ont été pris. Légalistes, nous continuons à lutter pour recouvrer nos droits. » Et de nous montrer un dossier volumineux transmis à toutes les instances des deux pays. La famille Louzri de Soumaâ, à Blida, possède (ou possédait) des biens à Beni Mellal. « Nous sommes très nombreux éparpillés sur tout le territoire du Maroc. Et tous les Algériens dans notre cas ne demandent qu’une seule chose : nos droits. » Sur le boulevard Mohammed V, à Casablanca, se dresse majestueusement l’hôtel Lincoln.
Une association pour recouvrer les droits
Une infrastructure dont sont fiers les Casablancais de souche. Mais le Lincoln n’est pas fonctionnel. Les travaux de restauration sont à l’arrêt. La raison ? Le propriétaire : la famille Bendra, d’origine algérienne, de l’extrême ouest. Et cela explique tout. Un journaliste du Matin Eco, nous sachant algériens, essaie de commenter cette situation : « Cet hôtel est une fierté pour nous. Sa restauration n’est pas allée à son terme parce que les autorités reprochent au propriétaire, à ce qu’il paraît, de ne pas respecter l’architecture du monument. Espérons que toutes les parties arriveront à une solution parce que cette fermeture dénature quelque peu ce boulevard de renom. » Maigre justification : les Casablancais interrogés sur la situation du Lincoln n’y vont pas par quatre chemins pour reconnaître que la raison est toute simple : « C’est un Algérien et certains acceptent mal qu’un Algérien réussisse. Et puis le projet est tellement grandiose qu’il attise les convoitises. » Les Algériens propriétaires de biens fonciers victimes des dépassements des autorités marocaines sont très nombreux. Pour défendre leurs droits, ils s’attellent à créer une association dénommée Algériens expropriés au Maroc (ALEMA), dont le président provisoire est Mohamed-Abdelouahab Bousmaha, résidant à Sidi Bel Abbès. « Nous lançons un appel à tous les Algériens expropriés au Maroc de nous contacter au 070 36 01 13 ou au 071 33 03 05 pour constituer notre association qui est encouragée par notre ambassade à Rabat et nos différents consulats au Maroc. Nos objectifs sont clairs : nous sommes apolitiques. Nous voulons recenser tous les concernés par ce problème et défendre les droits de cette catégorie d’Algériens résidant en Algérie ou au Maroc. Enfin, nous sommes optimistes quant à l’issue de nos revendications, surtout que les relations entre nos deux pays repartent sur de bonnes bases », souligne M. Bousmaha. Le site de cette association est en construction. Nos différents interlocuteurs affirment : « On ne peut pas envisager le raffermissement des relations entre les deux pays si ce contentieux – un parmi d’autres – n’est pas réglé. Ce serait hypocrite et fragile de rebâtir une union sur des litiges lourds. C’est comme si on construisait une maison sur un volcan. » Quand on pense que les autorités marocaines ne pensent qu’à la réouverture des frontières terrestres, l’on se demande si, quelque part, on essaie encore une fois de duper des Algériens toujours meurtris par mille et un coups fourrés fomentés par nos voisins.

Chahredine Berriah
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